dimanche, septembre 13, 2009

Entracte

Bon, pour patienter, une poésie d'adolescence :


A l’aurore les rayons du soleil, il y a cet instant. Les toits de Paris laissent couler sur eux le chatouillement perçant du doré qu’ils font chuter contre les murs par un jeu de cache-cache. Tout est en progression, en tâtonnements légers et polis. Un état laisse place à un autre, c’est une association, comme deux animaux qui se reniflent ils inspectent leur territoire, reconnaissent les masses auxquelles l’un s’accroche et l’autre s’échappe. L’instant est la note bleue de l’interférence. Le mitan du passage.
Je cru y voir une respiration alors ; l’écran palpitait de cette dualité. D’une révérence de cil, il se brouilla selon l’urgente cadence de battements de cœurs, des battements renégats, cachés, cachés peut-être pour trouver dans l’effort de leur découverte la mécanique qui les éveillerait. Un souffle, comme un ectoplasme, qui s’atténua petit à petit. La vie pouvait commencer.


Les filles en tenue de travail s’élancent dans le métro, aliments pavanés dans un estomac. Elles espèrent que les portes se refermeront sur elles les empêcheront d’entrer,,,,, mais elles ne s’arrêtent pas. Leur persévérance a la maladresse d’une rature, se disent-elles. A l’intérieur, les filles en tenue de travail se regardent, honteuses.


(Mais où donc s’en vont les regards fuyant ?
Là où ils trouvent satisfaction, entre eux)


Et entre nous un espace délimité par la pigmentation de nos peaux. On voudrait y créer, un réseau, où les flux de grains complèteraient nos ressources –et garder un canton pour nous, sur les pentes notre boudoir, garder un cantique pour nous. Jamais dans le métro dans le bureau ces grains ne prennent la lumière, mais il leur arrive d’intercepter une écoute, une pause attentive qu’ils gardent dans leurs pores. En faire l’élevage. Se dire qu’ils comptent pour nous. Comptabilité bien tenue, combien tu m’aimes, entre quels horaires notre distance peut-elle déborder je veux créer un surplus. Je veux, oui investir dans l’éclatement, investir dans ta vie suturée dans l’envie saturée de ne plus être qu’un. Gérer les liens de silence. La perspective de les tendre, de les déployer, de les déplier, un jeu de marionnettes toutes reliées, d’une grande famille. Ces ficelles comme des routes, de moi à toi –nouvelle structure squelettique. Mais, laquelle pour éveiller ton regard ?


……………………………………………………........




J’ai finalement investi dans les gants pour manchots, je suis heureux. Tous les acheteurs deviendront des amis à moi. Le lendemain je veux revoir cet instant, de la note bleue. La respiration a changé : elle s’est accompagnée d’un frêle éraillement, d’un début irrégulièrement perceptible d’atténuations enrouées. Je n’y retournerai plus.





J'écris aussi chez les Menstrues Délétères. Mes articles :
http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2009/06/ceci-nest-pas-un-inventaire-ni-un.html

http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2008/08/ceci-qui-est-le-plus-informe-textes.html
http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2008/04/sly-and-gayz-andogyny.html

http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2008/03/prsums-innocents-tout-finit-bien.html

http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2008/03/poussire.html

http://menstruesdeleteres.blogspot.com/2008/02/le-rgne-de-la-pornophobie.html

lundi, mars 23, 2009

Neuilly

C'est un texte que j'ai écrit les derniers jours de l'exode à Neuilly. Je suis actuellement de retour dans le 5ème, agitant un mouchoir maculé de morve vers cette banlieue de costard-cravates.
(La cravate, en fait, m’a toujours fait penser à une laisse. C’est sans doute pour cela qu’elle est obligatoire en entreprise)


(extrait de ma série "variation sur ma vue à Neuilly)

Depuis que j’habite à Neuilly je suis régulièrement agrafé par un voisin fou, à l’aporie pantoise de sa présence et à l’incapacité de m’en tirer avant plusieurs heures (avant la grossièreté). Je pourrais aisément vanter la gentillesse de cet homme, ancien peintre psychédélique, ancien militaire, ancien costumier du festival d’Avignon, ancien sdf, ancien tout et n’importe quoi, mais son verbiage, à grand renfort de rabâchage et de formules automatiques, me plonge dans un abîme de terreur. L’année dernière j’étais harcelé par un moine spiritain, cette fois ci me voilà en prise avec une véritable adaptation de Kafka. Il me parle de sa vie, m’interroge sur la mienne sans écouter les réponses puis repose les questions avant de répéter les mêmes phrases sur sa vie et ainsi de suite jusqu’au vertige existentiel. On a tous connu ce genre de personnes qui ne peuvent s’empêcher de conter leur ennui en insistant sur chaque détail inutile, mais je remarquai rapidement que, plus redoutable que des autres, lui a le pouvoir de radoter à l’infini ! Et le tout dans un charabia dont le sens et la logique m’échappent complètement –non mais tout ça c’est pas moi je Sacha Guitry, moi moiiii je vais loiiiiiinn, la conscience hein... Qu’on me révèle qu’il sort exactement les mêmes inepties à quiconque l’approchant et je sonne les violons de Psychose. Les premières fois je restai poli avant de pleurer en rage le temps perdu. Puis je me surpris à me permettre face à lui l’expression dans toute sa violence de ma saturation. Mais voilà, les abysses n’ayant pas de fond, je finis par céder sous l’assaut acharné de son maelström, me morfondant dans l’effort le plus bouleversant qui puisse être de renonciation. Celui que je lui dois vis-à-vis des services qu’il me rend. C’est ainsi que fonctionnent les pervers dit-on, la dette à régler envers eux, et le discours en prime sur l’ingratitude des jeunes pour me culpabiliser. Je prends donc la pose et l’expression de l’auditeur attentif, c’est une chose que je sais faire, et j’écoute Creedence ou Ella Fitzgerald à mon secours derrière lui, et je tente d’envoyer discrètement des textos, et je compte chaque gorgée du vin qu’il m’offre comme compensation, et je réfléchis au sens des offrandes sacrificielles que la politesse sert à genoux au rire de Dieu. Dans ce genre de situation les cons parlent d’hypocrisie. Non, ce n’est pas parce qu’on se refuse à ignorer ou mépriser ouvertement quelqu’un qu’on est hypocrite, au contraire, c’est bien parce que l’on reste bêtement conforme à ses principes qu’on peut affirmer ne pas l’être. Le voisin fou, syndrome de Stockholm oblige, je l’aime bien quand même. Je doute cependant d’avoir le moindre regret après mon départ.

(Pourquoi est-ce que je parle, pourquoi est-ce que j'écoute surtout, aussi facilement les gens ? M'intéresserais-je à eux ? Serais-je si terrifié à l'idée de froisser mes interlocuteurs ?)




Toute mesure gardée, le voisin fou me fait penser à une amie enracinée elle aussi à Neuilly, Brigitte F., dont d’ailleurs j’ai appris récemment le nouvel état de veuve. Brigitte F. est une charmante houppette du soleil couchant, sacrophagèsque, de la haute bourgeoisie ; toujours séduisante, mais dont la principale et première ride est d’oublier la moitié de nos anciennes discussions à chacune de nos retrouvailles, ce qui a la caractéristique d’être énervant. Veuve aussi de sa mémoire. Je lui accorde tout de même une excuse, ou dirais-je deux, la première étant qu’en fait je ne l’ai strictement jamais vu en dehors de l’assortiment d’ivresse qui fait tout le charme de ses dînettes (mis à part notre passage au salon de l’art contemporain avec notre connaissance en commun, le chorégraphe Yohann D., consistant cependant à se mettre dans la poche et si possible dans le foie tous les vendeurs disposant de bouteille de vin), leur charme et leur limite. Mesurer le gondolement étourdi de sa démarche au moment même de mon entrée chez elle est un rituel d’incipit au même titre que de reconnaître le compositeur de ses disques de Bach jouant l’attente de la dînette. Quant à la deuxième excuse, c’est simplement que le radotage inclue par ses oublis, a le mérite d’être divertissant, parfois drôle et orné de son fameux accent, toujours. Et puis, plaisir visuel aussi : voir Brigitte F. se torcher la gueule, avouons que ça vaut les quelques minutes d’exaspération qu’impliquent les conséquences verbales. Quelques minutes pour penser à Neuilly et à ses protagonistes, repliés en bout de route dans un no man’s land autarcique où tel des hamsters leur esprit s’essouffle à trouver le nord d’une roue d’argent.

Car s’il devait y avoir une personne avec qui je ne projetterais aucunement de finir la soirée en vomissant le bourgogne qu’elle m’aurait versé dans l’anus, je pense que cette septuagénaire serait bien placée. Reste donc la discussion d’ivrognes. Mais dans une conversation, je crois que rien n’importe plus que la nouveauté. Lorsque quelqu’un se répète, ses sujets continûment exprimés dans une forme distincte (mêmes mots, mêmes images, mêmes formules, même ton ou encore mêmes gestes) disparaissent au profit d’une nouveauté qui soudainement apparaît : la méthode de l’expression des sujets. Pouvoir décortiquer les rouages d’une rhétorique jusqu’à déceler ce qui a été appris par cœur, ce qui a demandé un entraînement ou a été étudié dans le but de produire un effet, voilà qui ne peut être dénué d’un sentiment de ridicule, voir de pitié. La mémoire est le sang nécessaire qui dans le corps d’une conversation cache le squelette-méthode. J’oserai d’ailleurs creuser un prolongement hasardeux : si la droite Sarkosyste se souvenait réellement des systèmes fascistes de toute sorte, rajouterait-elle des couches supplémentaire de peau pour camoufler à quel point leurs méthodes sont proches ? Elle n’en a pas besoin, elle l’a vu, son interlocuteur semble souffrir lui aussi d’Alzheimer, brave hamster, qui rêve de Neuilly, ce ghetto chiant au possible où les gens dans leur oubli du monde votent à droite et meurent.




A la fin, mon voisin fou, après d’inlassables tartines d’une prose digne qu’à être étalée en garniture à la nappe céleste quand par malheur son solitaire crépuscule manque d’alcool, après son radotage dont l’éternelle boucle est une réponse hallucinée au renouvellement de la nuit, mon voisin fou me demande Jean, va-t-on s’en sortir ? Bien sûr que oui, enfin.

Ou pas

Il s’approche et s’assied à côté de moi, arrivé en retard à la séance du film où de vieux hommes déambulent dans le sable et où une famille les attend en embêtant une brebis. Le film est Le chant des Oiseaux, d’Albert Serra, les Rois Mages traversant le désert pour Jésus. Lui est brun ses cheveux courts d’une légère ondulation qui se prolonge dans toute sa silhouette, dans la banalité détendue de ses habits, il est seul. Son visage est difficilement visible, se devinant derrière le noir comme les images subliminales du demi-sommeil, clignotantes selon le matinal, l’érectile dosage entre visible et invisible. J’aime les gens qui vont seuls au cinéma, surtout quand ils sont jeunes et que la séance en question est aussi désertique que celle d’Albert Serra. Je crois que c’est avec eux, les spectateurs solitaires, que le partage cinématographique se fait le plus intense. Soyons précis : les jeunes et séduisants garçons assis seuls ; chez eux l’avis post-visionnage, ces miettes qu’on éparpille en espérant que leur entassement modèlera à nouveau le film, prend le goût d’un hors d’œuvre caché, prend les traits de leur dimension sensuelle et le flou de leur inaccessibilité. On soupçonne toujours la beauté qu’on projette sur le corps d’une jeune silhouette inconnue d’être telle une plage pure, je pense que tout adophile me comprendra. L’idée qu’elle puisse être traversée par des pensées, et surtout, par des émotions, cette idée là est stupéfiante. Car enfin, si cette pureté fantasmée est définie par un dépouillement absolu, que peuvent donc être ces émotions et pensées que l’on sait présentes mais dont on refuse tout défaut ? De la même manière que les images de l’écran se propulsent sur son visage en ondoyant ses traits, en cachant ses imperfections, le garçon qui s’est assis à côté de moi devient Le chant des oiseaux. Il devient, quoi, noir et blanc, la lenteur reposée entre chacune des crêtes de ses dunes, drôle et contemplatif, beau tandis que le film l’adopte comme un appendice connectif et mimétique. L’entre-deux qui tend la distance en un échange illustratif, mais si irréel, si absorbé. Car enfin, si ces impénétrables spectateurs étaient plus réels que le film, je les aurais bien abordé au moins une fois –mais non, ceci n’arrive jamais, et ils finissent toujours par disparaître dans le blanc fœtale de l’écran vide.
Celui-ci cependant me touche le bras de son coude. Seigneur, je bande.
-Deux européens blancs qui sont en contact physique, en général ils ne sont pas sans l’ignorer. En Tunisie j’avais été surpris par la normalité, l’absence totale d’ambiguïté des contacts ; dans une voiture un garçon avait la cuisse contre la mienne et ne semblait pas même le remarquer (ce rapprochement m’a obnubilé pendant tout le trajet). Sans doute est-ce ainsi dans les cultures où l’homosexualité n’existe pas officiellement. Mais dans la culture judéo-chrétienne, à moins d’être ivre, je crois que tous y prêtent attention et notons que, si l’on en juge l’érotisme qui en résulte, ce n'est pas forcément plus mal...
Or donc, si le garçon ne retire pas son bras, dois-je en conclure que l’impudeur de cet effleurement ne le gêne pas, ou même, qu’il lui plait ? Les questions affluent et finissent par obnubiler. Coude + coude point précis d'intersection, bogosse ? Il y a là une porte offerte vers les méandres de cette perfection de cinéma. Je m'excite. Mes jambes se contorsionnent en exploit acrobatique pour dissimuler la tyrannie de mon érection. C’est comme si entre chaque plan du film un coude se cachait, envahissait les ellipses et les articulait aux images, faisant de cette confrontation (ce partage) l’érection même. Le chant des oiseaux se change en chant érotique. Tout son sens se révèle soudain. Quel étonnement, ce coude qui rapidement s’infiltre en moi avec la promesse d’un corps entier, d’un prolongement, quelle jouissan…
Le garçon part au bout de 30 minutes : Albert Serra, manifestement, le fait chier.
Et merde.




Ou alors : je me jette sur lui et arrache ses fringues d’un coup, il se laisse faire, m’embrasse. La langue est toupie et le film tout d’un coup voyeur. Je me déshabille aussi et nous faisons de notre nudité le nouveau présent des rois au Nouveau Né, totale et éclatante sous la lumière soudainement épurée, recueillie imprégnant la salle. Nous caressons nos sexes en élévation. Tous autour de nous contemplent le film devenu pornographique, tâtent leur attribut encombré ou leur chatte édeniquement noyée. Ils observent nos doigts forçant les remparts de l’anus, les bouches entre les pénis et la salive dont on ne discerne plus le possesseur. Nous jouissons, la Bible entière en rêve un nouveau Quantique des Quantiques, nous jouissons tous en même temps dans les déserts de Palestine jusqu’à l’étoile guidante des écritures sans lettres. Et, nos joues rouges de beauté, nous nous retournons pour admirer le panneau End couronnant le Partage de minuit sur l’écran orné de sperme et retournons chez nous dans la félicité de l’allégresse (et vis versa), ô trois petits points vers l’étendue du très haut...

Joie

mercredi, novembre 19, 2008

Les berceaux troués

(Le visage plus marqué, plus creusé, vieillis très soudainement sans y toucher, sans même trauma identifiable mais plutôt comme une douleur qui s’est reconnue. Le terme creusé est très juste, creuser les traits les rides, des tranchées de guerre, creuser une tombe. A ce moment là le cadavre n’est pas encore posé, reste la certitude de son existence. Le visage ne veut pas, n’a pas voulu ressentir la souffrance mais, peut être dans une volonté de sublimation, l’a représenté, l’a transformé en image. Le monsieur pense que ce dont on ne ce souvient pas est une entité vivante, un artiste pervers dont le corps est la palette. La nuit au moment où l’éjaculation sèche entre tes doigts il se penche sur toi et oeuvre.


Quand je n’écris pas les fantômes reviennent. Par un embrayage que j’ai moi-même actionné, je deviens hystérique.



Je ne sais pas si je travaille mon indifférence pour éviter la douleur ou si je travaille ma douleur pour éviter l’indifférence. Le fait étant que l’indifférence me rend triste et que la tristesse me rend indifférent.
L’indifférence est-elle triste ? Non elle ne peut dans sa définition même, être ressentie comme telle, il s’agit là d‘un oxymore, ou alors on parlerait de prolongement, d’un passage vers. Cependant je ne crois pas qu’on puisse l’ordonnancer dans ce no man’s land infernal où les fanatiques de l’émotion montrée, démontrée, moralisée comme si elle était la nécessité spirituelle d’une éthique divine, se sont acharnés à la condamner. Ne rien ressentir est une chose qui terrifie les gens, qu'ils jugent comme morbide ou comme une étape vers la folie tel le Septimus de Mrs Dalloway. Pourtant l'indifférence se ressent aussi, elle est une émotion, déterminée par l’absence d’émotion mais comprenant ses propres nuances, ses propres couleurs nées de cette absence. Elle me fait penser au gris, oui, on peut aisément comparer l’assortiment absorbé de leurs composantes, si l’on considère que l’absence d’émotion est un agencement de toutes les émotions, mais selon un codage détruit, ravagé. Tony Leung, dans le film 2046 de Wong Kar Waï, n’est insensible aux passions des gens qui l’entourent que dans la mesure où il peut puiser sa pétrification affective dans leur affection à eux. 2046 est la suite d’In the Mood For Love, histoire d’amour et de nouilles chinoises ; il est pourtant bien plus dense ; le vide que son personnage implique est un accès à davantage de pistes, de possibilités. Il y a peut être beaucoup plus de manière de ne pas aimer que d’aimer.
Je pense aussi à la recherche de Lol V Stein, à son ravissement monstrueux décrit par Duras. Alors que la mère de Moderato Cantabile construit un simulacre, Lol V Stein choisit d’explorer sa sècheresse, son absence jusqu’à la folie dans une histoire d’amour qui du début à la fin n’existe pas, et qui ne vaut que pour son inexistence. Quand elle avait 19 ans, elle assista au départ de son fiancé Michael Richardson avec Anne Marie Stretter. Elle voulait les regarder, on l’en a empêché, rupture. Elle va par la suite côtoyer un couple dont elle va séduire l’homme. Détruire, dit-elle. Détruire de peur de mourir de la maladie du rien, c'est un accompagnement. L’indifférence nécessite une sensibilité carnivore, de cannibale. Une compréhension des sentiments comme un surplus nihiliste qu’une image rouillée, fantôme blotti dans nos corps, transforme en d’autres fantômes. Cérébrale, dit-il. Non, juste des fantômes guidés.




"Nous sommes assis sur un banc. Lol a raté le train qu'elle s'était promis de prendre. Je l'embrasse, elle me rend ses baisers.
-Quand je dis que ne l'aimais plus, je veux dire que vous n'imaginez pas jusqu'où on peut aller dans l'absence d'amour.
-Dites-moi un mot pour le dire.
-Je ne connais pas.
-La vie de Tatiana ne compte pas plus pour moi que celle d'une inconnue, loin, dont je ne saurais même pas le nom.
-C'est plus que ça encore.
Nous ne nous séparons pas. Je l'ai sur les lèvres, chaude.
-C'est un remplacement"


Marguerite Duras était une cadette, les cadets sont souvent des survivants, de cette machine à destruction qu’est la famille. Le grand frère, le petit frère, morts tous deux l’un d’avoir été trop aimé l’autre de ne pas l’avoir été assez, et elle, comme protégée dans cette place entourée, sans devoirs. La force des cadets est de savoir se servir de leur absence de place symbolique pour survivre. Ils ont cette attitude d’observateurs, une position contemplative, impuissante, de la douleur que certains d’entre eux vont jusqu’à écarter. Mais si la douleur des autres est toujours constitutive d’une éducation, parfois elle ne l’est que par cet acte même d’écartement, le malentendu d’y avoir échappé. Cela entraîne-t-il nécessairement la culpabilité, ou la honte ? Je crois que c’est autre chose, un remplacement effectivement. Ce qui est écarté n’est pas la violence (au contraire l’acte aurait dû être vu, cf Lol V Stein) mais son impacte -jusqu’à cet étrange état qu’est l’indifférence. Et les comportements qu’elle implique, qui la nourrissent, en particulier le besoin, si jouissif, si plein, de destruction. Ou comment la souffrance d'autrui devient un élément nécessaire, nécessaire parce que substantielle à l'indifférence et à l'impulsion créatrice qui en découle.
D'en sortir, quelle idée, quelle difficulté. J'y suis arrivé, parfois, et parfois même avec bonheur. Tout dépend du déclenchement de cette extraction.

Le garçon : n’as-tu jamais rêvé que le ciel se déchire
La fille : je veux te baiser jusqu’à se moquer du corps
Le garçon : une poésie qui parle de l’hiver en été, et des yeux qui s’enrouillent
La fille : de l’envers dilaté, et des rêves qui souillent
Le garçon : je veux te baiser jusqu’à se moquer de la poésie
La solitude :
La fille : je vois, la nuit a un kyste, carnassier, son écorce s’écaille
Le garçon : elle gémit comme berceau troué
La fille : des dents poussent entre les brides, de sombre qui lui reste
Le garçon : nous resterons confiant
Boris : je veux vous baiser jusqu’à se moquer de la Géorgie
Le garçon, la fille : on arrive on arrive
Boris : petites salopes
La solitude :




Le port en soi de blessures extérieures, happées et canalisées, métamorphosées par une empathie non-compassionnelle en une impulsion amnésique, conduit à ce positionnement d’étranger, cette impression de ne pas être réellement dans le monde. J’ai eu pendant longtemps le sentiment d’être décalé par rapport à ce qui m’entourait. On me le faisait d’ailleurs souvent remarquer, « Jean de la lune » disait-on pendant mon enfance, « un extraterrestre » a-t-on dit plus tard, etc. Le lien qu’il a fallut opter fut créatif, mais je ne parlerais pas de choix dans la mesure où de toute façon la dynamique créatrice se met en place. C'est un cliché, je sais, mais je prends le risque. De même que de faire le rapprochement entre la création et la destruction, dans un état où ce qui n'existe pas, ce qui donc est à construire, est justement ce qui est hostile, donc à détruire. Peut être qu'un bon artiste doit être un criminel. Lorsque j'étais amoureux je

(trop de fièvre, je termine là l’article)

Un photographe m’a dit un jour qu’il fallait avoir une sensibilité extrêmement fragile pour être un artiste. Je crois qu’il a tord.)

dimanche, juillet 13, 2008

L'éventail dans le désert

















Je l’avais perdue de vue. Les oiseaux tombent par milliers, ils ont oublié le vent



oubliés les guides dont se servent les navires en quête de naufrage, les prophéties de bonheur qui se disent sans auteurs et sans âge que les enfants lisent dans les méandres de boyaux ; boyaux d’animaux ouverts ; une toge rouge se déchire pour montrer, quoi, peut être des mots s’extrayant d’eux même, aspirants, se superposent. Les réponses sont surfaites. Lorsque la fin du monde braquera sa molle bite, nous nous complairons à l’ignorer. Nous écouterons Yelle.







Et se déguiser en sens pour faire peur à Dieu. Et se déguiser en chat noir pour faire peur aux passants, trier les ombres la nuit les épingler dans des bocaux pour lorqu’elles ont séché en faire des masques. On a arraché les ailes d’un ange. Un éventail dans le désert.



Sa peau à perte de vue, à perte de vie sa peau étendue insensible aux égarés y creusent leur nid. L’alizé parcourt ses flancs pour en garantir l’existence, sa course avec les faucons en noyade dans les somnolences du soleil, mimant le silence de l’après. Des signes parait-il : le lierre comprime son étreinte contre les rhumatismes du vieil arbre tâtonnant de ses racines les grains de sable une armée, une langue, qu’il choisit comme héritiers. Ou le feu dans les roches disent-ils, quelque non-chose d’enfantin. Les hautes herbes ondulent. Les coquelicots, l’apparence de la fragilité comme un refrain pervers. La brume coule sur l’eau son brushing si maniéré qu’hoquète l’intrusion d’antilopes pressées – choisir cet office comme repère, comme re-mère. J’ai perdu mon infini de vue ; tout est intrigue ; je hais la nature.

mardi, décembre 18, 2007

Nous sommes tous des chinois

Les blogs ne sont vraiment plus ce qu'ils étaient.
S'il y a une posture toujours plaisante à emprunter, c'est celle du blasé regrettant un hypothétique âge d'or -attitude qui cependant, peut vite dévier vers l'aigreur la plus réactionnaire. Le tout est de savoir doser, de s'y prendre avec diplomatie. Je reprends donc : les blogs actuels sont, sauf exceptions, une constellation de médiocrité. Et Dieu sait si j'ai cherché parmi l'amas d'ignominieuses banalités sans style ou les traînées de crampes littéraires. Mais finalement, y a-t-il déjà eu un âge d'or du blog?

(Hip ou hype? Snob ou snoob? L'âme enlacée ou l'amant lassé?)

Concert des Tellers, quant à faire. A la Boule Noire, drôle de nom, petit concert, excusé (timidité et fatigue des débutants). Petit public surtout. Mais ça devient presque une habitude dans les concerts de rock: il ne doit plus y avoir qu'1/4 du public qui bouge. On leur offrirait des sièges ils s'assiéraient. Quant aux fumeurs, leur terrible et progressive marginalité devient éloquente. "Les jeunes de nos jours ne savent plus s'amuser" disent nos parents... En fait, il n'y a guère que dans les concerts d'hard rock que le public bouge dans une même énergie, une même korégraphie commune: mouvement de tête de l'avant vers l'arrière. On dirait des baromètres noirs mesurant le taux de puissance des basses. Leur observation est aussi fascinante que les turbulences du Queen vu en plongé.



Et aussi

L'expo Heidi Slimane -une très radine tranche de la réelle expo Slimane. Qu'y avait-il déjà j'ai du mal à m'en souvenir, un trou de mémoire. Mmmm... Il y a l'obscurité, des nuques et des flashs, l'obscurité des nuques flashés. Mmmm... Ai-je été déçu je ne m'en souviens pas. Dans l'art mutilé l'avantage est qu'on peut se faufiler en ses trous, là où les spectateurs n'ont plus rien d'autre à regarder qu'eux-mêmes. On se dit alors que c'est à nous d'achever l'oeuvre. Il y a le garçon qui ne sait pas comment se placer pour remplir, le cadre. Il bouge trop.

Il y avait aussi la lumière, comme un fleuve qui se perdait dans une mer de fumée, et puis, il y avait les membres qui en sortaient ou s'y recachaient, la peau blanche, un baiser. On entendait des sons étranges, une complainte? Un baiser simulé /peut être /un baiser clair-obscur.

La mutilation elle même comme simulacre. Les pièges où les jeunes gens tombes figés, dans un cliché photographique. Slimane tout comme Gus Van Sant est un artiste du trou, de l'ellipse, de ce qui est à côté -visages de cheveux, émotions clandestines, corps et vestes, ou narration d'un autre monde, d'un temps désaccordé et du ravissement de l'absence. C'est en cette retranscription qu'ils sont indéniablement les deux grands pygmalions de la jeunesse actuelle.

Ces Perfect Strangers


Mais question : où sont donc passés les dandys? Les dandys tendent à disparaître, comme tout ce qui, dans un suprême mépris du concept galvaudé d'altérité, est interdit à l'un des trois sexes. Les filles n'ont aucun équivalent au dandysme, sans doute parce que l'oisiveté et le culte de l'apparence qui la caractérise leur ont été imposés pendant des siècles. Le travail et la culture sont leur subversion à elles. On remarquera au passage que pratiquement toute l'esthétique des dernières générations exclut les filles, au profit d'un nouveau narcissisme masculin. Qui retiendra-t-on le plus longtemps, Pete Doherty ou Kate Moss? C'est le pop-rock maintenant qui créé les tendances, or le pop-rock est essentiellement masculin (concept de bad boys) -cet objectif stylistique, voir même énergétique, est ainsi un théâtre de rivalité dont les acteurs ne peuvent être que des garçons, reléguant aux vagins le rôle de groupie-faire-valoir.

Mais j'attends néanmoins le moment où l'on verra aux premiers rangs des plastiscines une horde de garçons aux cris hystériques, éclatant en larmes après avoir frôlé l'orteil de la bassiste. Ce devrait être terrifiant.

Ordonc les français, en votant majoritairement à droite, ont choisi la France qui se lève tôt, qui travaille, une France moraliste réceptive aux moindres inclinations de ses émotions, au lourd esthétisme de la laideur. La désinvolture pop façon baby-rockers, (façon maybe-rockers, surtout) ou tektonikers ou fluokids, est déjà une aération mais se limite aux parenthèses de sa jeunesse. Le minet arrogant qui va tous les soirs au Shebeen, au Pop In, au Bouddha Bar (finalement non, il n'y a pas que des pétasses et des trentenaires au BB) ou au Metropolis, est le même que le costard que l'on retrouvera quelques années plus tard en entreprise. Il lui manque le parti-pris politique, la connaissance du potentiel manifeste de sa culture - le principe du dandysme. Je crois l'avoir observé (peut être me trompe-je), les nouvelles sous-cultures se sont laissés dominer par le diktat bourgeois, à savoir que leur liberté n'appartient qu'à ce qu'il appelle "l'insouciance de la jeunesse", une "sphère temporaire avant le monde réel". Avec l'aide de la société de consommation, quand les codes vestimentaires remplacent totalement l'idéologie politique. Finalement, cette fuite n'a pas le contenu necessaire à la révolution, et, de par son autisme "dépression post-société-libérale", finira très certainement par abdiquer encore plus lamentablement que les soixante-huitards.
Reste l'érotisme des slims.
Et les dandys? Aucun patron ne peut être dandy, on l'a compris quand cette position a cessé de se limiter aux yeux des gens à l'amour de la mode, pour se développer en philosophie de vie. Et même s'il devient de moins en moins présent, le dandy a le mérite de se repréciser, remarquable face à la vulgarité de droite. Ceci est justement son rôle : connaître de fond en comble les cultures et valeurs de masse, pour ensuite les dépasser. Un retournement du principe d'effort.

Il y a plus intéressant encore que le dandy, c’est le performer. Lui prend comme base à dépasser le niveau du dandy, il ne teste plus seulement les domaines de formatage social, mais aussi tout le rapport au corps et à ses normes. En serais-je un plus tard, quand il ne me restera plus que l’insolite pour me mettre en valeur ?

J'avais écrit d'autres textes à publier, d'autres aigreurs déçues, mais c'est Noël aujourd'hui. Alors, Joyeux Noël à tous ; après tout pourquoi pas. (Strawberry Jam d'Animal Collective, est le panorama acoustique le plus pétillant de l'année. Sous sont patronage son zoo de compagnie fait merveille : Panda Bear, Caribou et Le Loup. Let's myrtille, baby)

lundi, novembre 19, 2007

Pédophilie et instrumentalisation

Il était une fois un groupe facebook s’intitulant «Suspendre les pédophiles par les couilles», qui semble-t-il n’existe plus. Les milliers d’adhérents à ce groupe s’y défoulaient, décrivaient toutes les tortures qu’ils aimeraient infliger à ces gens désirant sexuellement les gosses. Etonné par le spectacle dantesque que m’offrait leur colère, j’ai discuté un jour avec un des adhérents, dont la mère travaillerait à la brigade des mineurs, et lui assurerait donc, d’après sa profession, les connaissances nécessaires au sujet. Je lui demandai ce qu’était, selon lui, un pédophile. Il me répondit ceci : «C’est le vieux qui épie les jardins d’enfants, qui en enlève un, le séquestre et le viol dans sa cave». Voici le début de l’histoire, des enfants innocents, un monstre et son antre, une foule terrifiée.

Mais il était encore une fois, ce petit article dans le journal Métro, dans lequel un pédophile, ancien condamné, nous parle de ce qu'il vit, de ses pulsions et de ses traitements. Sur une demi-page. Il y aborde notamment le calvaire qu’implique son effroyable désir, la violence de la stigmatisation qu'il subit, la manière dont elle rend difficile son aide et sa réinsertion. Tout se complique : le monstre est aussi un être humain.
Un article prenant le courage de nous annoncer un tel fait, surtout dans ce genre de torchon qu’est Métro, ça a le mérite d’étonner. Peut être trop: certainement gêné par le manque de condamnation outragée, le journaliste a cru bon de titrer l'interview d'un "Pédophilie: il faut être plus vigilant".



Soyons donc vigilants. Puisqu’ils sont humains comme vous et moi, ils peuvent être partout, ils peuvent être vous et moi. D’ailleurs ils sont réellement partout –sinon à quoi bon être vigilant. Et si on se surprend à ne pas encore en soupçonner assez, rien ne nous empêche de dénaturer le mot "pédophile" pour accroître le déchaînement des autodafés. Ainsi, au fil des discussions, des remarques égarées, on constate que la pédophilie n'est plus définie par le lambda comme un désir sexuel pour les pré-pubères, mais de manière plus totalisante comme un désir pour les mineurs. Un majeur couchant avec une personne de 17 ans serait donc criminel ; on l'apprend même dans les facs de droits. Mais en ce cas, en quoi la pédophilie est un crime? "On n'est pas aussi mature à 17 ans qu'à 18. La preuve, si c'était le cas, on permettrait aux ados de 17 ans de voter", m'a-t-on dit. Bon, restons sérieux, je ne perdrai pas mon temps à répondre à ce baragouinage de fin de pensée. Je voudrais juste faire noter que le droit se rédige selon des consensus généraux, et que majoritairement, les ados ont des corps aptes à la sexualité dès leur puberté. Alors, pourquoi leur psychisme ne suivrait-il pas? Sans doute parce que les fanatiques de la "pureté enfantine" ont encore tendance à leur apprendre que le sexe, c'est mal. Les plus fragiles récoltent leur névrose, appartiendront plus tard à leur triste système de la débandade. Les autres s'en moquent, baisent et se font baiser par les plus vieux, moi, vous, par moi, par vous, les autres aiment, baisent.
Je pourrais citer beaucoup d'exemples, de cris d'orfraie concernant des jeunes de 14, 15, 17, ou même 20 ans ; leur accumulation, dans leur absurdité, leur décalage, aurait le mérite de nous éclairer sur la raison de la stigmatisation extrême du pédophile: au fond, le pédophile, c'est celui qui vous gêne. Vous ne voulez pas qu'on baise avec votre petite soeur, avec votre fils? Vous ne voulez pas que votre conjoint fantasme sur une jeune starlette? Traitez les intéressés de pédophiles, vous aurez tout de suite la morale publique de votre côté. Faites-lui confiance, elle sait s'adapter à vos caprices.
Voilà, tout se complique encore plus : non seulement le monstre est un être humain, mais en outre, tout être humain peut devenir monstre selon l’humeur de son prochain.

Au fait, comment en est-on arrivé là ? Il est avéré que toute stigmatisation mise en place ou encouragée par l’Etat a pour but l’instauration d’une paranoïa collective, d’une peur irrationnelle permettant la répression exutoire. La paranoïa est un désir de toute puissance, on le sait bien, ainsi que le montre son fonctionnement, de l’auto-persuasion des mauvaises intentions de son prochain à la volonté d’héroïsme dont le paranoïaque croit faire preuve en combattant une peur qu’il n’a pas su réellement identifier. Le rôle de l’Etat est de conforter chaque individu dans sa peur, et de la canaliser contre la menace qu’il choisira. Or une névrose ne s’épanouit et ne se propage telle une épidémie que lorsqu’elle est soutenue par une autorité. On pense ainsi à la moyenâgeuse haine du sexe de la chasse aux sorcières, ou à l’hystérie politique dans le maccartisme aux EU et dans la chasse aux bourgeois en URSS. Chaque personne pouvait être une sorcière, un communiste, un bourgeois. Un être dont il faut se débarrasser. Dès lors que votre voisin vous dérange, vous pouvez prouver sa malveillance ; elle dépend de critères que personne ne maîtrise et ne veut maîtriser (puisque le nom qu’elle porte est un fléau faisant figure de dogme indiscutable), que l’on meut à volonté selon ses désirs. Nous sommes là dans le domaine du sacré, d’une Foi inébranlable en son Jugement personnel et en la divinité du phallus recousant par sa jouissance la castration d’avec l’Etat-mère.
On l’observe, après la désillusion des années peace and love et du libertarisme, dans la terreur du sida et du néo-libéralisme, nous sommes rentrés à nouveau en une période de dépression sexuelle. Le sexe est devenu un vestige d’idéaux désuets, lorsqu’on pensait que le corps pouvait être autre chose que la marchandise d’une entreprise, lorsque que le «cancer des gays» n’existait pas pour faire à côté l’éloge du mariage et de l’abstinence. La fragilité sentimentale de notre rapport au corps a manifestement semblé un bon outil pour créer un nouveau Mal. L’affaire Dutroux est donc tombée, et avec elle, l’arrivée en masse du monstre pédophile. Sans commune mesure avec les phénomènes historiques cités plus haut, je crois vraiment qu’il faut s’arrêter plus longuement sur ce Mal. Par exemple, comment une société entière a pu se passionner pour la grandiose mascarade du procès Outreau ? Comment a-t-elle pu fermer les yeux aussi longtemps sur cet échec, et recommencer par la suite à condamner des innocents dans d’autres procès incohérents ? Quel intérêt peut-on avoir à focaliser l’attention du monde entier sur de telles divagations ? Pour camoufler quoi ?

Je ne suis pas un journaliste, je connais très mal la scène politique et ne pourrai pas donner de réponse pertinente. Revenons plutôt à vous. Pourquoi y croyez-vous ? Pourquoi vous êtes vous laissés persuader que vous avez le droit de foutre en l’air la vie d’une personne parce qu’elle a fait l’amour avec un ado, le votre ou un autre, ou tout simplement parce que vous le soupçonnez de pédophilie ? Excusez-moi de déceler un malaise, une imprécision, un léger froissement dans votre raisonnement. Serait-ce parce qu’il est plus commode d’attaquer le bouc-émissaire que de voir en face vos propres désirs ? Non, ce n’est pas le monstre qui s'est déjà surpris désirer secrètement la prunelle de vos yeux, c’est tout le monde, vous et moi, parfois juste pour une heure, une minute, une seconde. La personne qui me dit qu’elle n’a jamais regardé de toute sa vie avec un soupçon d’attirance les jambes d’une fille de 12 ans, ou un p’tit cul d’adolescent serré dans un slim, je la traite de menteuse. Et pourtant, et justement, lorsque ça se sait, lorsque vous surprenez votre chieur de voisin en cette situation, là vous le traitez de pédophile. Mais vous ne savez même pas ce qu’est un pédophile.








Je vais maintenant me pencher sur un cas qui est arrivé à un de mes amis, Z, 22 ans, qui a récemment été dragué par un pré-ado de 14 ans, T. Ils se sont vu une fois, dans une évidente ambiance de séduction, et en sont ressorti avec tout ce qu'on sait de la fraîcheur des flirts adolescents. La mère de T a fouillé dans son ordinateur pour retrouver leurs discussions msn, l'a forcé à donner les coordonnées de son amant potentiel, a commencé à mettre en place des mesures judiciaires. T ayant 14 ans, l'acte sexuel est considéré comme un viol : "Le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze (15) ans est puni de cinq (5) ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende".

Diantre. Ceci pose plusieurs questions. Qu’est-ce qu’une «atteinte» sans violence, contrainte, menace ni surprise ? Sait-on de quoi on parle, précisément ? Et, quid de l'ado pubère et consentant ? Oh, ça, on s'en fout.
Il y a quelques années on s’était enfin mis à écouter les mineurs de moins de 15 ans, on prenait en compte leurs plaintes d’attouchements avec un inconditionnel crédit, jusqu’à l’arrestation de personnes innocentes. La situation vécue par Z est l’inverse : le mineur a beau clamer haut et fort son consentement, la conscience de ses actes, on écartera sa parole comme un détail pour mieux s’acharner sur le «détourneur». On est passé de la bouche incontestablement innocente à la bouche incontestablement inconsciente. Mais inconsciente, uniquement bien sûr lorsqu’elle ne dit pas ce qu’on attend d’elle.

Parce qu’au fond, qu’importe l’enfant : ce qui compte est avant tout la punition du bouc émissaire, du serpent qui, en encourageant la connaissance du péché originel, serait cause de tous les maux de notre époque. Du pain et des jeux, demande le peuple (le jeu du loup est déjà le préféré des cours de récréation). L’enfant est presque un appât, en fait. Je connaissais d’ailleurs quelqu’un qui, lors de ses 13 ans, a littéralement servi d’appât : lui et son «corps de 18 ans» étaient chargés par la police de faire le trottoir et d’attirer le pédophile. Ou, faire naître un désir semblant à priori normal pour ensuite le châtier. Bande d’abrutis.
Comment cette personne a-t-elle vécu l’expérience ? Pas très bien, je crois. Mais il faut dire qu’il avait déjà été victime d’abus, il était déjà détruit, atteint de cette maladie qu’on appelle le sexe ; tout travail de protection ne servait donc plus à rien. Les enfants ayant eu des rapports sexuels, ça dégoûte un peu, c’est comme s’ils avaient reçu un virus dont on se doute qu’il réapparaîtra plus tard en «perversion sexuelle» (quand ils seront vieux, chauves et édentés). Ils sont irréversiblement malades. C’est pratique, une licence : avant ça permettait de les soumettre à la question, d’encourager à sortir des noms quitte à dénoncer n’importe qui, et à leur faire porter toute leur vie le poids des années d’incarcération de gens innocents. Maintenant, ça permet aussi de les ignorer (ce qui demande moins d’efforts, plus tranquillisant) quand ils ne suivent pas la version de leurs parents. Mais question : comment un pré-ado de 14 ans en pleine éclosion, va-t-il se construire sexuellement si ses premiers choix, qu’il a pourtant aimé, sont qualifiés de viols et finissent par déboucher sur des poursuites ? L’interdiction d’avoir des rapports sexuels avec des ados n’est, finalement, rien d’autre qu’un phénomène massif de censure : censure du corps sexué (d’une sexualité pouvant faire acte, socialement) de l’adolescent ; déni de ce corps, de sa parole et donc de son humanité ; censure de l’évocation du désir de ce corps et surtout du désir pour ce corps, l’une par l’ignorance et l’autre par une stigmatisation à l’imagerie de conte de fée. Les deux entreprises castratrices, s’opérant dans le climat kafaïen des névroses collectives et par le biais d’une violence dont on se refuse ouvertement à mesurer la portée.


J’aimerais poser une autre question : que serait-il advenu si l’histoire de Z et de T avaient été d’ordre hétérosexuelle ? Ca y est, c’est sorti. La mère de T n’est pas seulement une salope castratrice qui fouille dans les mails et les archives de l’ordinateur de son fils, son hystérie n’est pas seulement liée à une question d’âge (chose qu'il faudrait qu'on m'explique, au début de mon adolescence ça me paraissait inconcevable de coucher avec autre chose qu'un adulte ; le sexe aussi est de l'ordre de l'apprentissage) mais surtout au caractère homosexuel du flirt. Elle l’a dit elle-même : si T n’avait pas été détourné par Z, sans doute n’aurait-il pas été contaminé par le virus inverti. «Détourner». «Détournement de mineur», haha, mais détournement de quoi, au juste ? D’une hypothétique et très abstraite innocence, ou bien du droit chemin hétérosexuel ?
On sait parfaitement qu'il y a une instrumentalisation de la pédophilie dans le discours homophobe. Ca remonte à l'amalgame entre pédéraste et homosexuel, à l'éphèbophilie, au modèle grec ou caravagesque. Mais concrètement, dans notre société, non, rien qui ne puisse justifier quoi que ce soit, pas de chiffres édifiants. Cela n'a pas empêché Emmanuel Le roy Ladurie de déclarer: "le fait de confier des enfants à des couples homosexuels masculins ne manquera pas d’accroître encore les risques pédophiliques qui sont déjà en plein essor" (ah bon, on constate un essor de la pédophilie?) ni les manifestants du 31 janvier 1999 de clamer "Les homosexuels d'aujourd'hui sont les pédophiles de demain" (ah bon, on devient pédo en vieillissant?). Ni même l'Eglise Catholique de prétendre combattre la prolifération de pédophiles qui la ronge... en refusant les homosexuels dans les séminaires. Lol, n’est ce pas ? Notons par ailleurs que l'ignorance de la pédophilie féminine est un tabou découlant entre autres de cette homophobie, alors qu'il suffit simplement de se renseigner pour constater que beaucoup des dernières affaires concernent des couples, où la femme est autant active que le mari. Mais on fermera sagement les yeux là-dessus en préférant l’éternel «guide des rapports humains pour les nuls», l’enfant-ange asexué, la femme-sainte-et-passive, l’homme-père-ou-pervers, l’homosexuel-affamé-de-chair-fraiche. 



Il faut aussi rappeler comment le code pénal fait lui-même la distinction entre les «détournements» hétérosexuels et homosexuels : "Les atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur âgé de plus de quinze (15) ans et non émancipé par le mariage sont punies de deux (2) ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende : Lorsqu’elles sont commises par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime ; Lorsqu’elles sont commises par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions." Une «atteinte sexuelle» (non, je ne sais toujours pas ce que ça veut dire) sur mineur est donc justifiée ou du moins excusable uniquement lorsqu’elle se trouve «émancipée par le mariage». Foutrefichtre ! Cet article sous-entend que dans le monde extravagant du droit, un père, une mère, un prof, n’importe qui, peuvent porter cette mystérieuse «atteinte» à la chair innocente sous la très précieuse condition qu’ils leur passent l’anneau au doigt –rock’d roll, baby. Comme le dit Saint Paul le sexe est douloureux mais le mariage est le meilleur des lubrifiants. On me dira que c’est un oubli de rectification comme tant d’autres, datant de cette époque où la gestion de nos vies sexuelles n’existait, par le prisme de la religion, qu’en fonction de l’assurance des dynasties – de la société hétéro-patriarcale – du paternalisme. Ou non, on ne me le dira pas formulé ainsi puisque la situation n’a pas changé. Il n’empêche, ils ont bon dos leurs oublis. Mais parions que cette précision deviendra rapidement embarrassante aux yeux des défenseurs de la norme sexuelle (pour ne pas dire «morale sexuelle naturelle»)... lorsque les homosexuels pourront se marier, par exemple...






Si le combat contre les actes pédophiles veut fonctionner, il faut qu'il s'épure des délires hystériques qui le collent à la manière de morpions psychotiques. Aucune des «solutions» proposées ne parait utilisable, justement parce qu’elles sont enfantées par ces délires. La castration chimique, bien sûr, ne fonctionne pas, malgré l’ambition de cette bavure de Bernard Debré, de l’imposer tous les trois mois aux délinquants sexuels (en attendant la castration natale pour tous les "pédophiles génétiques"?). Quant à la proposition de rendre publique les fichiers nous informants du taux de pédophilie de nos voisins, elle est tout simplement dégueulasse. Que proposer, alors ? Je ne propose rien, la pédophilie n’est pas une maladie ni un quelconque symptôme social, elle ne concerne que le cas-par-cas, la jurisprudence. Ce que je veux, avec cet article, c’est rappeler aux gens que leur rapport à toutes ces questions évoquées est complètement voilé, cloisonné, issu d’une manipulation à laquelle ils participent avec la jouissance d’un public assoiffé de sang. Je ne suis pourtant pas le premier à faire la part des choses. Déjà en 1977 fut publiée une pétition contestant un code pénale déjà/encore ubuesque : "Trois ans (de prison) pour des baisers et des caresses, ça suffit", "Si une fille de 13 ans a droit à la pilule, c'est pour quoi faire?" disait-elle. Le texte est signé Aragon, Bernard Kouchner, François Chatelet, Jack Lang, Félix Guattari, Patrice Chéreau ou encore Daniel Guérin. Plus tard, ce ne sont que Jean Paul Sartre, Michel Foucault, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Robbe-Grillet, Françoise Dolto, Jacques Derrida ou Philippe Sollers qui exigent dans une lettre ouverte la modification du code pénal. La limite juridique de l'âge où l'abus devient consentement mutuel, doit passer à 14 ou 13 ans, et chaque cas doit être étudié avec l’attention qui s’impose quant aux exceptions, c’est à dire ces enfants déjà capables de toucher au fruit défendu. Si le droit ne s'appuie pas sur les études de la pédopsychiatrie et de la psychanalyse (affirmant que c'est avec la puberté (13 ans) que l'ado devient capable d'avoir des rapports sexuels, affirmant aussi l’existence de ces exceptions), alors sur quoi? Les caprices des peurs sociétales? Ce décalage de 1 ou 2 ans en moins peut paraître futile, c'est vrai, au fond c'est pas grand chose. Il n'empêche que cette petite injustice détruit des vies entières.


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Au moment où je termine cet article j’apprends que la Grande Bretagne compte ficher 1 de ses citoyens sur 6, soit 11 millions, et parmi eux la totalité des enseignants du pays. Je vous invite à vous rendre sur le blog BugBrother pour avoir les ahurissants détails. «Nous ne nous sentons pas concernés» vous dîtes-vous. Pourtant vous l’êtes, comme tout le monde l’est dans un système dénué de toute raison.

dimanche, novembre 18, 2007

La pellicule isolée

A l’adolescence mon ambition de voir Bergman. Je me serais caché dans la mer contre l’île de Faro, déguisé en vague, et j’aurais observé le vieil homme composer sa solitude pour germer des rochers, du paysage vide ses persona ses diaphragmes chirurgicaux, l’heure du loup. Je me glisse entre deux éclairages pour y dévisager leur absence de Dieu, la broderie de cette absence en traits flous sur grand écran. Poser sa main dessus, la caresser. Des traits de femmes, peut être, ou bien, des membres d'un squelette structurant le corps de l'île.

Sinon je me noie. Au fond de l’abysse, je rejoins la face cachée de Faro. C’est un iceberg soutenu par la masse de ses fantômes -tumultueux, d’un tumulte silencieux.

Avec une fille nous avions décidé d’y élever des lapins. Pourquoi des lapins je ne sais plus.



(Et quoi pour égaler les araignées - les clous - les vieux dessins animés - les visages échappés des rêves de cadavres pas assez morts - rattachés à la vie par des espoirs inaccessibles - je regrette Bergman)

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